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Lettres extraites de
Paroles de Poilus

(éditées par Radio-France)




(Maurice Maréchal avait vingt-deux ans en 1914. Après la guerre, il deviendrait l'un des plus grands violoncellites du monde : l'égal de Casals et l'un des maîtres de Rostropovitch. Entre 1914 et 1919, le matricule 4684 classe 12 fut soldat de 2ème classe et agent de liaidon. En mai 1915, un autre poilu lui fabriqua un violoncelle avec les morceaux d'une porte et d'une caisse de munitions. Ce violoncelle signé par les généraux Foch, Pétain, Mangin et Gouraud est aujourd'hui conservé à Paris, à la Cité de la Musique.)


Dimanche 2 août
Premier jour de la mobilisation générale. Hier matin j'ai pris la résolution d'agir en Français. Je rendais mes cartons à la Musique, quand je me suis retourné machinalement sur la ville, la cathédrale vivait, et elle disait: « Je suis belle de tout mon passé. Je suis la Gloire, je suis la Foi, je suis la France. Mes enfants qui m'ont donné la Vie, je les aime et je les garde. » Et les tours semblaient s'élever vers le ciel, soutenues seulement par un invisible aimant. Et Meyer me dit:
« Vois-tu des boulets dans la cathédrale ? » J'ai été à l'infirmerie, Je serai du service armé et si on touche à la France, je me battrai. Toute la soirée, des mères, des femmes sont venues à la grille. Les malheureuses ! Beaucoup pleuraient, mais beaucoup étaient fortes. Maman sera forte, ma petite mère chérie, qui est bien française, elle aussi ! J'ai reçu sa lettre ce matin, dimanche.
Ici, je te confie un secret, carnet, elle contenait cette lettre, une lettre d'une jeune fille qui aurait peut-être pu remplacer Thérèse un jour. Si je pars et si je meurs, je prie ma petite mère de lui dire combien j'ai été sensible à sa lettre de Villers, combien je l'ai appréciée dans sa droiture, dans son courage, dans sa grâce; combien je la remercie des bonnes paroles que j'ai vraiment senties être d'une amie. Je suis sorti ce matin prendre du linge, poser mon violoncelle chez Barette. J'ai écrit à petite mère. Je ne peux pas écrire à tous, mais je pense pourtant à tous nos amis.

Maurice Maréchal




( Neuf jours après avoir écrit cette lettre, Alphonse fut tué par un obus.)


Mercredi 5 mai 1915
Chérie,
Voilà le baptême du feu, c'est chose tout à fait agréable, tu peux le croire, mais je préférerais être bien loin d'ici plutôt que de vivre dans un vacarme pareil. C'est un véritable enfer. L'air est sillonné d'obus, on n'en a pas peur pourtant: nous arrivons dans un petit village où se fait le ravitaillement; là, on trouve dans des casemates enfoncées dans la terre les gros canons de 155; il faudrait que tu les entendes cracher, ceux-là; ils sont à cinq kilomètres des lignes, ils tirent à 115 sur l'artillerie boche. On sort du village à l'abri d'une petite crête, là commencent les boyaux de communication; ce sont de grands fossés de 1 mètre de large et de deux mètres de profondeur; nous faisons trois kilomètres dans ces fossés, après on arrive aux tranchées qui sont assez confortables. De temps en temps, on entend siffler quelques balles, les Boches nous envoient qelques bombes peu redoutables; nous sommes à deux cents mètres des Boches, ils ne sont pas trop méchants. Je me suis promené à huit cents mètres sur une route, à peine si j'en ai entendu deux siffler; nous avons affaire à des Bavarois qui doivent en avoir assez de la guerre, ça va changer d'ici quelques jours.
Nous faisons des préparatifs formidables en vue des prochaines attaques. Que se passera-t-il alors, je n'en sais rien, mais ce sera terrible car à tout ce que nous faisons nous prévoyons une chaude affaire. J'ai le coeur gros mais j'attends toujours confiant; nous prévoyons le coup prévu avant dimanche. Si tu n'avais pas de mes nouvelles après ce jour, c'est qu'il me sera arrivé quelque chose, d'ailleurs tu en seras avertie par un de mes camarades. Il ne faut pas se le dissimuler, nous sommes en danger et on peut prévoir la catastrophe; sois toujours confiante malgré cela parce que tous n'y restent pas.

Alphonse