Cette histoire commence en cours d'histoire. Le professeur nous demanda de faire un exposé oral sur un livre ancien.
II y eut des protestations à cette annonce. J'étais un peu
inquiète car le seul endroit où je pouvais trouver un livre ancien était la vieille bibliothèque de
l'Internat où personne n'allait jamais.
Je demandai aussitôt à mes amies Mélanie et Léa de s'y rendre avec moi.
- Cool ! s'exclama Mélanie. Cela nous donnera une bonne raison d'enquêter sur Mlle Biglu !
Mélanie enquêtait sur tout, c'était la reine des scoops. C'était quelquefois agaçant car elle
savait tout avant tout le monde mais cela était très utile pour le journal clandestin que nous
écrivions, elle, Léa, moi, et une poignée d'autres internes. J'avais eu cette idée en Latin, alors
que je m'ennuyais à mourir, j'écrivais un journal appelé
La Bible du Latin et Léa m'avait
rejoint ainsi que Mélanie. Ce journal avait été un succès et était bientôt devenu
La Bible du
Collège .
Mélanie était donc très enthousiaste à l'idée de voir Mlle Biglu, la bibliothécaire, qui était
certainement la personne la plus effrayante de l'Internat selon mon opinion.
Elle vivait dans sa vieille bibliothèque pleine de toiles d'araignée. Elle avait le chic de vous
tomber dessus au moment où vous vous y attendiez le moins. Mais nous étions bien obligées
d'y aller car si nous voulions
trouver un livre ancien, c'était bien là-bas.
Léa accepta de m'accompagner également. Mais, au moment où nous nous apprêtions à entrer
dans la bibliothèque, Mélanie s'exclama:
- Zut ! J'ai un rencard avec Adrien !
C'était une autre chose pénible avec Mélanie. Léa, qui ne l'appréciait pas trop, leva les yeux
au ciel au moment où Mélanie partit en courant.
Nous entrâmes dans la bibliothèque. Léa prononça un « Bonjour » incertain et je me dirigeai
vers un rayonnage de livres particulièrement poussiéreux. J'en pris un au hasard. Il y avait des
signes bizarres sur la couverture et aucun auteur apparent. Avant d'avoir pu l'ouvrir, Mlle
Biglu fondit sur moi comme une chouette.
- Que... Qu'y a-t-il ? balbutiai-je
- Ne le prends pas, murmura-t-elle, les yeux exorbités.
Je compris qu'elle parlait du livre.
- Je n'ai pas le droit de le prendre ? demandai-je.
Elle me regarda comme si elle voyait un fantôme et prit une profonde inspiration.
- Ce livre est...
A ce moment-là, Léa revint, apportant un livre énorme dont les pages se détachaient.
- Viens, on s'en va, me souffla-t-elle.
- Ne le prends pas, répéta la documentaliste en se penchant vers moi, presque menaçante.
- Fais ce qu'elle te dit, me chuchota Léa d'un air anxieux.
Haussant les épaules, je pris le livre suivant en étant sûre qu'il datait bien du Moyen Age et
sortis, suivie par Léa.
Une fois que nous fûmes un étage plus bas, Mélanie nous rejoignit.
- J'ai manqué quelque chose ? lança-t-elle.
Je lui expliquai tout. A ce moment-là, si.j'avais réfléchi juste une seconde, je me serais
souvenue de la curiosité de Mélanie et nous aurions peut-être pu éviter le pire. Mais j'étais
trop choquée et je lui racontai tout ce qui s'était passé au sujet du livre aux signes bizarres.
-C'était des runes, dit Léa. Les signes sur le livre étaient des runes. C'est très utilisé en divination. Bref, il te suffit de lire une page de ce bouquin pour devenir folle. Remarque, avec toi, on ne verra pas la différence.
Mélanie ne répliqua pas. Je savais qu'elle pensait au livre.
Le lendemain, Mélanie arriva en retard au cours de Sciences Physiques. Elle tenait fièrement le mystérieux livre sous son bras. Cela ne m'étonna pas qu'elle ait pu convaincre Melle Biglu de lui laisser l'emprunter, Mélanie voulait être commerçante plus tard. Le professeur de Physique lui lança un regard qui en disait long, mais Mélanie continua de sourire et s'installa àcôté d'Adrien.
Nous avions à réaliserdes mélanges particulièrement difficiles. Stéphanie Weird, comme à son habitudde ne faisait rien. Elle était arrivée en cours d'année, ne disait jamais rien, et certaines rumeurs loufoques couraient à son sujet. C'était un peu le bouc émissaire de la classe, mais, ce jour-là, ce n'était pas elle que le professeur regarait.
-Mélanie, je suis sûre que ce que tu es en train de lire est très intéressant,mais concentre-toi un peu.
-Oui... Oh non! s'écria Mélanie.
Le tube qui contenait son mélange s'était renversé. Léa éclata de rire :
-Je crois que ce livre ne va pas faire long feu! s'exclama-t-elle.
Mélanie avait blêmi. Elle tourna rapidement les pages de son livre.
-Mélanie! Ton carnet! Tu exagères! lança le professeur, excédé.
Mélanie ne prononça plus un mot de toute l'heure. A la sonnerie, elle courut à nous et dit:
-Vous savez pas la meilleure! Le liquide s'est renversé sur le mot "fantôme" et il a disparu, regardez!
Elle nous montra le livre. En effet plusieurs espaces étaient blancs, et ils auraient très bien pu
correspondre au mot « fantôme ». Léa n'était pas du tout impressionnée. Selon elle, cela était
dû à un défaut su livre et Mélanie était encore en train de plaisanter. Mais celle-ci ne s'énerva
pas que Léa ait pu penser cela, elle continuait de fixer le livre d'un air gourmand.
Cette nuit-là, quand je m'endormis, Mélanie lisait le livre à la lueur de sa lampe torche. Je
trouvais cela un peu bizarre, car d'habitude elle n'aimait pas lire; mais je me dis que ce serait
une bonne chose si le livre lui donnait goût à la lecture.
Le lendemain matin, tous les internes furent convoqués par le principal. Il se tenait au milieu
de la salle de Détente, les professeurs à ses côtés, et nous fixait d'un air sévère.
- Cette nuit, commença-t-il, quelqu'un s'est amusé à renverser les bureaux et briser les vitres
de la salle 13. Celui qui a fait cela doit se croire très malin, mais nous lui demandons de se
dénoncer. Immédiatement !
Il y eut des rires. Tout le monde trouvait cela très amusant. Léa sourit et je pensais à La
Bible du Collège.
Le professeur de Chimie termina, l'air menaçant :
- Je vous préviens, nous allons trouver le coupable ! Et vite !
Mais cela ne se passa pas exactement comme il l'avait prédit. La semaine qui suivit, il y eut
d'autres tables renversées, des fenêtres ouvertes, des messages écrits à l'encre rouge sur les
murs... Les professeurs, excédés, ne savaient plus où donner de la tête. Léa s'en donnait à
cozur joie dans La Bible, en faisant des théories. Moi aussi, cela m'amusait bien car les
professeurs oubliaient de nous faire des contrôles. Mais Mélanie refusait d'espionner comme
elle en avait l'habitude. Elle avait perdu ses couleurs et nous évitait, comme si elle avait peur
de quelque chose. Un jour, alors qu'elle mangeait avec nous, ce qui était devenu de plus en
plus rare, Léa dit :
- J'ai enfin fini mon livre ! Nous aurons l'exposé à faire dans peu de temps.
Moi aussi, cela faisait longtemps que j'avais fini le mien, mais celui de Léa était vraiment
énorme et abîmé. Elle avait eu du courage pour le lire en entier
- Moi, déclara Mélanie en sortant de son mutisme, je ne l'ai toujours pas fini.
- Tu plaisantes ! s'exclama Léa. Ton livre est minuscule à côté du mien !
- Oui mais... Je n'arrive pas à le finir..'. C'est comme si, chaque nuit, de nouvelles pages
apparaissaient.
Je la regardais, étonnée.
- Et ce n'est pas tout, poursuivit-elle d'une petite voix. J'ai l'impression de prévoir ce qui se
passera le lendemain, vous savez, les messages écrits avec du sang...
- De la peinture rouge ! protesta Léa.
... et tout ça. Je sais exactement ce qui va se passer. Dans le livre, il y a un fantôme qui fait
tout cela à la tombée de la nuit.
Léa étouffa un fou rire. Mélanie eut un sanglot, prit son sac et partit. Je ne pouvais pas la
laisser toute seule alors je la rattrapai. Après tout, peut-être que ce qu'elle racontait était vrai,
en tout cas elle avait l'air d'y croire.
- Mélanie, lui dis-je, tu vas quand même pas te pourrir la vie à cause de quelques tables
renversées.
- Mais je peux le prévoir! C'est écrit dedans ! Je peux prévoir... tout!
Je ne l'avais encore jamais vue perdre ses moyens ainsi.
- Et même si c'était vrai, c'est plutôt marrant, non ? Tu pourrais le rapporter dans La Bible,
ce serait « la Théorie de Mélanie » ! Tu ne crois pas ? Enfin, quand même, il n'y a pas eu
mort d'homme dans cette histoire !
- Non, répondit-elle, un peu soulagée. Mais tu sais, je lis toujours le soir ce qui va se passer le
lendemain. Mais tu as raison, il ne s'est rien passé de grave...
Elle sourit à travers ses larmes et je sus que j'avais gagné, qu'elle allait reprendre ses bonnes
vieilles activités. Mais c'était sans compter sur tout le reste.
- Le principal a démissionné.
Ce furent les premiers mots que prononça la prof de Français, le lendemain. Nous étions
convoqués à nouveau et les professeurs, en face de nous, semblaient plus fatigués que jamais.
Le professeur de Technologie avait été agressé. On avait tenté de l'étrangler, il était
maintenant à l'hôpital, dans le coma. Tout le monde savait que le principal était son frère.
Mélanie, à côté de moi, était livide.
- Ne me dis pas que tu avais prévu ça, lui chuchotai-je.
- Si... Je l'ai lu hier soir.
- Mais alors, lui demandai-je, pourquoi ne me l'as-tu pas dit ?
- Dans le livre, il y avait écrit que le fantôme forçait un vieux savant à s'étrangler de ses
propres mains. Je me suis dit qu'il n'y avait pas de vieux savant ici et que ce n'était pas grave.
Tu crois que j'aurais du en parler à un professeur ?
- Non, il t'aurait probablement traitée de folle, lui répondis-je.
Moi non plus je ne savais plus quoi faire. Cette histoire commençait à être inquiétante.
Je ne revis Mélanie qu'au cours d'Histoire, l'après-midi. Elle avait les yeux rouges mais un
air déterminé que je ne lui connaissais pas. C'était justement à cette heure-là que nous devions
présenter notre livre. Ce fut Bastien qui commença. II écrivit la date au tableau : 1950.
- Mille neuf cent cinquante ? articula le professeur pour montrer que lui l'aurait écrit en toutes
lettres. C'est ce que tu appelles un livre ancien ?
- C'est au moins du temps des dinosaures, m'sieu ! répliqua Bastien.
- Mais, s'étrangla le prof, c'est mon année de naissance !
Tout le monde rit et je vis avec soulagement que Mélanie riait aussi. Quand ce fut son tour,
elle inventa un auteur, une date de parution, un titre et une histoire finie pour son livre.
A la fin de l'heure, elle me dit qu'elle avait pris une grave décision: elle allait détruire le
livre. Je n'essayai même pas de l'en dissuader. Nous allâmes dans la Salle de Détente et elle
jeta le livre dans la cheminée. Elle le regarda brûler et j'avais l'impression que le poids qui
pesait sur ses épaules avait disparu.
Le lendemain, nous fûmes convoqués une fois de plus. Je regardai Mélanie. Qu'avait-il bien
pu se passer encore ? Nous n'en savions rien mais au moins nous étions sûres que le livre n'y
était pour rien.
Les professeurs, malgré leurs cernes, avaient un air triomphant. Le professeur de Chimie
brandit une lampe torche devant nous. Des initiales y étaient écrites : S.W. Cela ne pouvait
correspondre qu'à une seule personne : Stéphanie Weird. Tout le monde la regarda. Nous
étions tous atterrés: que le père de Stéphanie soit mafieux comme on le racontait, passe
encore, mais qu'elle-même...
Le professeur de Chimie la regarda comme s'il la passait aux rayons X. La prof d'Espagnol
lui demanda avec douceur:
- C'était toi, Stéphanie ?
Mais bien sûr que non, ça ne pouvait pas être elle ! Elle n'avait pas la force d'agresser un
professeur ! J'avais l'impression qu'une lueur de défi s'était allumée dans les yeux de
Stéphanie quand elle déclara:
- C'était moi.
Le professeur de Chimie la prit par la main comme si elle allait s'échapper et nous repartîmes,
sans un mot.
- Ça n'était pas elle ! lança Mélanie qui était maintenant blanche comme un linge.
- Bien sûr que non, ce n'était pas elle ! approuva Léa.
Je la regardai avec curiosité. Elle expliqua:
- Personne ne s'intéresse jamais à elle. Aujourd'hui, elle prend sa revanche, elle a l'occasion
de faire croire qu'elle est capable de quelque chose.
- Quand même, ces initiales... dis-je.
- Elle ne veulent pas dire Stéphanie Weird, chuchota Mélanie. Elles signifient « Sordide
Wagon », le train dans lequel repart le fantôme...
Léa soupira. Je ne savais plus quoi penser.
- En plus, continua Mélanie, je l'aurais vue si elle était partie en pleine nuit. Cette semaine, je
n'ai pratiquement pas dormi. Oh, j'aurais du le dire aux professeurs, maintenant elle va être
renvoyée...
°*°*°
Stéphanie Weird fut renvoyée, comme l'avait prédit Mélanie. Celle-ci ne nous reparla plus
jamais du livre mais je savais qu'au fond d'elle, elle se sentait coupable. D'ailleurs, elle ne
redevint jamais totalement comme avant.
Plus rien ne se passa les nuits suivantes. La vie reprit son cours normal avec quelques petits
changements. Le professeur de Technologie est maintenant à l'hôpital, il jure qu'une « forme
blanche » a tenté de l'étrangler. Le principal a démissionné pour de bon. J'oubliais... il est
maintenant impossible d'allumer un feu dans la cheminée de la salle de Détente. Curieux...