L e c t u r e |
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Victor Hugo, "Demain dès l'aube..." |
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. |
Arthur Rimbaud, Voyelles |
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes : A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes, Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; U, cycles, vibrements divins des mers virides, Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ; O, suprême Clairon plein des strideurs étranges, Silences traversés des Mondes et des Anges : - O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! |
Paul Verlaine, "Il pleure dans mon cur..." |
Il pleure dans mon cur Comme il pleut sur la ville ; Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cur ? Ô bruit doux de la pluie Par terre et sur les toits ! Pour un coeur qui s'ennuie, Ô le chant de la pluie ! Il pleure sans raison Dans ce coeur qui s'écure. Quoi ! nulle trahison ?... Ce deuil est sans raison. C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi Sans amour et sans haine Mon cur a tant de peine ! |
Paul Verlaine, "L'heure du berger" |
La lune est rouge au brumeux horizon ; Dans un brouillard qui danse, la prairie S'endort fumeuse et la grenouille crie Par les joncs verts où circule un frisson ; Les fleurs des eaux referment leurs corolles ; Des peupliers profilent aux lointains, Droits et serrés, leurs spectres incertains ; Vers les buissons errent les lucioles ; Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes, Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes. Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit. |
Gérard de Nerval, "Fantaisie" |
Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber, Un air très vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l’entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit : C’est sous Louis treize; et je crois voir s’étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs; Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens, Que, dans une autre existence peut-être, J’ai déjà vue... — et dont je me souviens |